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Vingt ans après, les réfugiés palestiniens, entre débrouille et drogue, ont peu d'espoir. C'est un terrain vague fermé par une grille. A l'entrée du camp de Chatila, seul cet espace envahi d'herbes folles qui ont poussé sur l'une des fosses communes rappelle le grand massacre commis par les milices libanaises chrétiennes avec la couverture de l'armée israélienne, qui occupait alors Beyrouth. Entre 800 et 2 000 Palestiniens y ont péri. C'était il y a vingt ans, le 16 septembre 1982.
Parcelles Installé au sud de la capitale libanaise sur un terrain d'un kilomètre carré loué par l'Unrwa (agence mise en place par les Nations unies, destinée au secours des réfugiés de Palestine), le camp de Chatila est une forêt de hauts immeubles de béton, séparés par des ruelles sinueuses. Les réfugiés y ont construit leurs maisons sur les parcelles allouées. Faute d'espace au sol, ils ajoutent des étages pour y loger leurs enfants, qui fondent de nouvelles familles, ou pour louer à des Libanais et à des Syriens. Les Palestiniens n'y seraient plus que 8 000 sur près de 15 000 habitants. Ils sont arrivés en 1948, lors de la création de l'Etat d'Israël, et en 1967, lors de la guerre des Six Jours. La nouvelle génération est née dans ce camp où elle rêve d'une Palestine jamais vue. Mohammed Roudeina, 26 ans, vit dans le camp avec sa soeur. Ils ont perdu onze membres de leur famille lors du massacre. Il fait partie des 23 survivants qui ont déposé une plainte contre Ariel Sharon, alors ministre de la Défense. Dans un tiroir, il a gardé des coupures de journaux de 1982 où l'on voit les cadavres de sa famille gisant devant le porche de leur maison. Roudeina passe du désespoir total, où il voit son avenir comme un «gouffre noir sans fond», à l'espoir d'échapper à la vie du camp et de faire des études aux Etats-Unis. «Pour moi, le 11 septembre a été très néfaste, je pense que je n'ai plus aucune chance d'aller en Amérique», se lamente-t-il.
Chômage Son voisin, Mohammed Majzoub, a également 26 ans, mais sa famille a réussi à fuir au début du massacre. Il est plus insouciant. «S'il faut se battre pour libérer la Palestine, je suis prêt à le faire, mais se lamenter et spéculer à longueur de journée, non, ça me déprime», explique-t-il. Majzoub a un travail. L'eau potable courante n'étant pas disponible dans le camp, des particuliers ont acheté des filtres et vendent de l'eau stérilisée. Majzoub conduit un petit camion qui appartient au propriétaire libanais d'un de ces sommaires systèmes d'épuration. Un jour sur deux, il distribue de l'eau à 1 000 livres libanaises (près de 0,75 euro) les vingt litres et empoche 60 % du prix. Il a sept soeurs et huit frères, dont deux sont morts durant la guerre du Liban. Nasri, un de ses petits frères, joue au football avec Jabalia, l'équipe du camp de Chatila. Une équipe libanaise a voulu l'engager mais «il a laissé filer l'occasion, parce que la drogue le rend complètement irresponsable», raconte Majzoub. La «drogue» des jeunes réfugiés est un médicament à base d'amphétamine qu'ils achètent en pharmacie à 3 000 livres libanaises (2 euros) les 100 pilules, «ça les rend violents, ils hallucinent, se battent et s'automutilent», explique Majzoub. Effectivement, dans les ruelles de Chatila, beaucoup de jeunes gens au chômage ont des cicatrices sur le torse ; tous sont aussi tatoués. Les tatoueurs pullulent dans le camp et proposent des dessins qui vont de la silhouette de femme nue à l'effigie du secrétaire général du Hezbollah.
Passeport Le soir, la famille et quelques voisins se réunissent chez Abou Jamal, le père de Majzoub, un réfugié de 1948, respecté par la communauté. La trentaine d'enfants et de petits-enfants s'assoient par terre pour dîner. Seul Abou Jamal est assis dans un fauteuil où il boit de l'arak et raconte ses souvenirs de Saint-Jean-d'Acre. Ses enfants l'écoutent avec respect, même s'ils connaissent déjà ces histoires par coeur. Il leur a transmis le désir de rentrer en Palestine. Pour Abir, la grande soeur de Majzoub, blessée par balle durant le massacre, «même une petite parcelle de Palestine serait bien, ce serait déjà un pays». Roudeina n'accepterait jamais un passeport libanais : «Cela équivaudrait à perdre notre droit au retour» ; pourtant, ce papier pourrait être son billet de sortie. Et si on leur proposait de rester au Liban en échange d'une compensation matérielle ? A ce mot, Majzoub bondit : «Vous avez entendu dire qu'il y a une compensation ? Moi, je dirais oui, je me sens très bien à Beyrouth». |
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Joelle Touma |
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©////o/ |